En tant que fan de Google et de ses produits, je dois dire que je suis un peu surprise par les réactions de cette entreprise face à la crise du coronavirus. J’ai eu envie d’écrire ce billet après avoir lu une interview du CEO de Google, Sundar Pichai dans le Time.

Le Time essaie toujours de mettre en avant les héros du quotidien, les bonnes volontés, les génies de notre époque. Cette semaine, le numéro s’intitule « Finding Hope ». Les 100 personnalités de la communauté Time sont mis en lumière. Sundar Pichai est de ceux-là.

Les fondateurs de Google, Larry Page et Sergey Brin

Google ne craint pas la crise mais la gestion des contenus dévore son énergie.

A la question, craignez-vous la crise, Sundar Pichai répond que Google a été fondée juste avant la bulle Internet. Ces moments de crise ne sont pas problématiques pour Google. Ce sont des instants qui permettent de penser le futur et de développer la créativité.
La question de la coopétition (l’alliance de concurrents) concernant le Covid est abordée. L’application de tracking Stop Covid qui regroupe les talents d’Alphabet, maison mère de Google et d’Apple est un exemple de coopétition réussie. Néanmoins, on sent bien que Google est peu à l’aise sur le sujet. Sundar Pichai ne parle que d’une chose « la vie privée ». Il insiste sur le fait que les informations personnelles ne pourront être collectées à des fins de tracking de localisation.
Autre point, les fake news qui représentent une part considérable du travail de Google concernant le Covid. Les sources d’information sont vérifiées, la chasse est faite à ce que l’on considère comme une information non fiable. Google a ouvert une plateforme sur le sujet en intégrant Google Trend et une collection de sites d’information gouvernementaux ou de santé.
Sundar Pichai reconnaît que, Google et YouTube priorisent les informations certifiées provenant d’autorités reconnues. Les publicités concernant le Covid ont été bannies un certain temps puis, peu à peu, réintroduites au prix d’un travail de modération intense fait par les équipes de Google.
Pour lui, il n’est pas du ressort de Google ni d’aucune autre entreprise technologique de gérer la crise du Covid. C’est de la responsabilité des gouvernements et des organisations type OMS.

Le procès de sa toute puissance

Time mentionne une étude de Gallup-Knight qui montre que 77% des Américains considèrent que des compagnies technologiques comme Google sont trop puissantes. Pour Sundar Pichai, cette réaction est normale. Google a connu une fantastique croissance et il est tout naturel qu’elle soit aujourd’hui sous les feux de la rampe. « Nous faisons le bien », martèle-t-il. Il cite dans la foulée les 250 millions de dollars de dons publicitaires attribués à des organisations comme l’OMS pour les aider à diffuser les bonnes pratiques de distanciation sociale ou de lavage de mains.
La question de l’inégalité numérique prend tout son sens. Isolation, stress, augmentation des maladies mentales dues au confinement…Sundar Pichai égrène la liste des potentiels problèmes que pose le manque d’accès à Internet. Voici les projets qu’il dévoile :

  • Un intérêt de plus en plus fort pour le télétravail (il n’en dira pas plus)
  • Un partenariat avec le Gouverneur de Californie, Gavin Newsom et T-mobile pour disposer de wifi gratuit
  • Des Chromebooks à destination des écoliers californiens
  • Un plan pour désenclaver les zones sans Internet

Petit passage sur Google

Cette interview pleine de non-dits m’a donné envie de faire un tour sur le site corporate de Google et sa plate-forme dédiée Covid-19. Voici sur quoi Google communique :
Enseigner en ligne ou travailler à la maison. Google y met en avant ses outils de certification numérique, des conseils pour être efficace en visio. Un focus particulier est réalisé avec Google Hangouts Meet et la promesse  » vous pouvez créer des visioconférences et inviter tous vos élèves ». Je me pose alors la question : pourquoi Google s’est-il fait littéralement damer le pion par Zoom ? Peut-être parce que Zoom se distingue par sa simplicité.

Simplicité ?

Google n’a pas appliqué deux règles du marketing :
Règle 1, la segmentation. Parlez à ses cibles plutôt que de les perdre sur une plate-forme unique qui s’adresse aux amateurs de Gsuite, à ceux qui cherchent une seconde carrière avec le digital, aux familles et aux enseignants perdus ou aux amateurs d’art !
Règle 2, une offre – une page d’atterrissage. Une page dédiée avec un tunnel de conversion

Tout se passe comme si Google avait perdu la magie des débuts. Son moteur se distinguait par sa simplicité. Il est étrange, au moment où l’on parle d’innovation frugale que l’on ne retrouve pas cette caractéristique.
A cette multitude de contenus, Google adjoint les conseils de tutoriels YouTube qui vont de ranger son bureau à réviser ou faire du sport.
Un seul espace de collecte de dons est visible. » Au sein d’une alliance « Tous Unis Contre Le Virus », la Fondation de France, l’AP-HP et l’Institut Pasteur ont décidé d’unir leur force pour apporter une aide rapide et efficace sur le terrain. Face à l’ampleur des besoins, un appel à la solidarité est lancé pour soutenir les soignants, les chercheurs et aider les personnes les plus vulnérables ».
Voici le lien pour donner. 

Modèle économique secoué

Quoiqu’en dise Google, son modèle économique est secoué. Google tire une majorité de ses revenus de la publicité digitale. Or, la publicité digitale ne se porte pas très bien actuellement. Dès 2019 et bien avant le Covid, Google donnait des signes de faiblesse. Comme le soulignait « Les Echos », « La société californienne a dégagé un chiffre d’affaires de 134,8 milliards de dollars sur l’année 2019 pour sa division de publicité digitale, mais la croissance ralentit. Dans un univers très concurrentiel, le géant de Mountain View semble perdre du terrain notamment face à Amazon. Le groupe de Sundar Pichai a néanmoins vu la croissance de ce pôle décélérer par rapport à l’an passé (+22 % entre 2017 et 2018 contre 16 % cette année) ». Source, Les Echos

Google a doublé ses revenus sur le Cloud . Ceci ne suffit pas à cacher de lourds échecs. Echecs sur les réseaux sociaux avec l’abandon de Google Plus, mutation difficile vers le payant sur YouTube qui prend de plein fouet la TV payante (Netflix notamment), problèmes en ce qui concerne l’évolution du Search et du produit Google AdSense, nécessité de rassurer les marques sur l’univers publicitaire via la Brand Safety… les chantiers sont énormes, prennent du temps et des ressources.

Google Cemetery, un cimetière peuplé de multiples tombes

A la question, Google a toujours innové et pratique le modèle Essai-Erreur, on peut répondre qu’enregistrer autant d’échecs est problématique à terme. Beabilis vous invite à consulter le site Google Cemetery qui liste les produits Google morts, ceux menacés et les durées de vie moyennes. Il y a, vraisemblablement, une accélération des décès de produits. Depuis 2006, le total des morts s’élève à 166 pour 212 acquisition avec une durée de vie moyenne de 4 ans. Cela comprend les acquisitions dont Google n’a rien fait et les produits maison.

Sus aux budgets Marketing

L’heure est aux restrictions. Se recentrer sur son métier nécessite des choix drastiques qui rejaillissent sur les budgets marketing. Le site CNBC s’est procuré un document interne détaillant les mesures d’économie prévues par Google.

• Gel des embauches
• Réduction de la moitié des budgets marketing pour le second semestre
• Diminution de la formation professionnelle
• Recentrage sur les actions marketing à vocation commerciale

Comme le souligne CNBC, « Avant la pandémie, Google s’attendait à une augmentation des dépenses de marketing par rapport à l’année précédente. L’entreprise, qui ventile les dépenses de marketing et de vente ensemble, a dépensé 18,46 milliards de dollars en ventes et marketing en 2019, selon son dernier 10-k annuel. Ce montant comprend les dépenses de publicité et de promotion liées aux produits et services ainsi que la rémunération des employés des ventes et du marketing. L’année dernière, elle a augmenté ses effectifs d’au moins 15 %, comme le montre le rapport annuel. En outre, les dépenses de publicité et de promotion ont augmenté de 402 millions de dollars ».

Amazon, la grande peur de Google

Autre annonce faite par l’entreprise au temps du Covid, sa volonté de rendre gratuit les services de Google Shopping. Avec son moteur de recherche et Android (le système d’exploitation le plus utilisé au monde), Google Shopping est la troisième pépite de Google. Lorsque l’on regarde les principales requêtes effectuées sur Google Shopping France en 2019 (source Statista), on se rend compte que la troisième occurrence est Amazon.

Google Shopping a d’abord été une extension de son moteur de recherche avec une vocation e-commerce. Il est ensuite devenu une place de marché (d’où la concurrence avec Amazon). La récente annonce de Google de ne plus faire payer le référencement aux marchands sur Google Shopping est bien décryptée par Leptit Digital. 

L’objectif est d’attirer plus d’annonceurs qui ne payeront pas le référencement mais qui, pour renforcer leur visibilité, continueront à investir sur les encarts sponsorisés Google Shopping. Par ailleurs, les annonceurs ne disposant pas de site Internet continueront à payer une commission à Google Shopping en fonction des ventes réalisées.
Attirer le plus de monde possible sur Google Shopping est l’objectif poursuivi pour mieux contrer Amazon.
En cette période de crise, Google doit se réinventer. Cette réinvention doit peut être passer par un recentrage sur ses activités phare. Son ambition de numériser le monde apparaît soudain si lointaine.