Ce billet est tiré de plusieurs dizaines de visites de magasins emblématiques de Manhattan, visites effectuées en Août 2019. L’équipe Beabilis a découvert une ville pacifiée socialement. Les quartiers comme Harlem sont en pleine mutation Bobo. L’insécurité est très faible. Pourtant, l’envers du décor est bien moins séduisant.

Il y a plus d’inégalités sociales dans certains quartiers qu’en Inde. De nombreux SDF tentent de subsister en mendiant. Les vétérans des dernières guerres de l’Amérique implorent quelques dollars en montrant leur moignon. Des blessures de guerre terribles qui les privent de leurs jambes ou de leurs bras. Sur des fauteuils roulants, ils brandissent des écriteaux déchirants. « I need a miracle » est celui qui nous a le plus donné envie de pleurer.

Oui, il faudrait un miracle pour moderniser cette ville tant elle semble en retard sur les standards de la ville du futur. Qu’elle est loin, la ville intelligente, la Smart City, que l’on pourrait attendre d’une cité comme New York.

Quelques exemples

Les poubelles prennent la moitié des trottoirs à toute heure de la journée car il n’y a pas de containeur. Les éboueurs news yorkais sont réputés pour être les plus forts citoyens de la ville car il faut tirer à la force des bras des tonnes de déchets. Le Pass métro doit être payé en liquide.

Des baraques à hot-dog, des barbecues en pleine air déversent de façon continue une épaisse fumée sur les passants, fumée chargée d’odeurs difficilement supportables. La circulation est épouvantable. Le subway aussi, notamment sur les quais où la chaleur plonge les passagers dans un véritable sauna. Les syndicats bloquent toute innovation dans le métro new yorkais car ils se battent, et c’est louable, pour sauver les emplois. Résultat, aucune automatisation. Vous avez un chauffeur qui conduit et un conducteur qui passe sa tête par la fenêtre pour voir si l’on peut fermer les portes des wagons…

A la Gare Centrale, ce n’est pas mieux. Les écrans d’information marchent de façon très aléatoire. A JFK, la zone Duty est très déroutante. Ce que vous achetez doit être déposé au pied de l’avion. La suspicion règne.

On pourrait croire que le temple de la consommation, le Dieu Marketing sont épargnés. Le retard en termes d’expérience client dans le retail est en accord avec l’état de « digital illiteracy » de la ville.

Tant de locaux vides, tant de faillites…

Les observateurs locaux ne cachent plus l’ampleur de la crise que traverse le Retail. The Observer, le 10 Août 2019 signait un article sur l’état inquiétant du shopping à New York. Les touristes n’y trouvent pas leur compte. Pas de créativité produit, des prix extrêmement élevés, une expérience client qui n’est pas à la hauteur…

Résultat, les locaux vides se multiplient et les faillites aussi.

WeWork et Amazon plutôt que Barneys ou Lord&Taylor

« La détérioration frappante de certains des quartiers commerçants les plus populaires de Manhattan a été soulignée par la décision prise lundi par Barneys, le célèbre magasin de mode de la ville, de demander la protection de la loi sur les faillites. La situation financière désastreuse de Barneys est apparue alors que d’autres points de repère du commerce de détail de la ville ont déjà fermé leurs portes. Lord & Taylor – l’un des plus grands  magasins de la ville, avec un immeuble entier sur la Cinquième Avenue – a récemment fermé ses portes ; son espace a été vendu à WeWork, la société de location de bureaux, et Amazon. »

Source :The Gardian

Des études affirmeraient que 25% des locaux commerciaux sont vides alors que le ratio de 5% est considéré comme acceptable en temps normal.

Le ton monte entre le maire, Bill de Blasio, et les propriétaires accusés de garder les magasins vides plutôt que des louer moins chers. Autre procès, celui des Hedge Funds, gros propriétaires de l’immobilier New Yorkais qui privilégieraient les baux pluriannuels offerts par les grandes chaînes. Résultat, une uniformisation mondiale du retail qui toucherait la ville de plein fouet.

New York ne fait pas exception au véritable tsunami qui touche le retail américain, tsunami largement provoqué par les ventes en ligne. Néanmoins, on aurait pu imaginer que New York serait épargnée car c’est une ville monde qui dépend des touristes. Le problème ne concerne donc pas les nouveaux modes de consommation qui s’imposent à tous. Les touristes n’achètent pas leurs cadeaux sur Amazon. Ils veulent consommer local, typique et en magasin. Ils ont représenté 44 milliards de dollars US (36 milliards de livres sterling) de dépenses en 2018. Ils peuvent donc faire et défaire l’activité commerciale de la ville.

Voici quelques réflexions qui pourraient expliquer la déception de plus en plus affirmée que les touristes ressentent pour le shopping à New York.

Pas de force de vente, pas de data, pas de robots et personne pour parler votre langue

Le personnel est peu formé et assez peu commercial. Vous pouvez vous balader des heures dans Century 21, le grand magasin Discount de New York, sans que personne ne vous adresse la parole. D’une façon générale, vous pouvez entrer dans de nombreux magasins sans un Welcome. A la caisse, aucune proposition de carte de fidélité. Aucun tracking client. Pas de data, pas de fidélisation.

Le seul qui a l’air performant sur le sujet est le Rockfeller Center, gigantesque complexe de magasins assez disparates.

Les employés news yorkais ne parlent pas français et pas chinois non plus. Ne pas parler chinois est une faute professionnelle dans les magasins des Champs Elysées. Pas à New York. Le problème est que l’accent new yorkais est épouvantable même pour des touristes qui se débrouillent en anglais. Cela donne à peu près ça :  “C’maahn, was dis a cawfee-and-cake light ovuh hea-uh?” (Robert De Niro as he waited for a red light in Mean Streets, source: villagevoice).

Il n’est pas question de faire des efforts pour les étrangers, de parler plus distinctement ou plus lentement. Les plus chaleureux sont les habitants d’Harlem qui vous demandent volontiers d’où vous venez.

Nous n’avons croisé aucun robot dans les allées. Nous suspectons qu’il n’y en a pas non plus dans les entrepôts.

So many bugs….

La scène se passe à Rockfeller Center où nous avisons un magasin à l’accroche étrange. Sur un premier panneau collé à la vitrine, nous découvrons sa raison d’être :

Welcome to the Vend. Allow us to help Yourself

Le magasin propose des caisses automatiques où l’on peut acheter des boissons comme des chemises. Il est censé se passer de personnel.

Or, il y a du personnel et nous découvrons très vite pourquoi. Une deuxième affiche attire notre attention :

Looking for Glitches ! As we work through our beta phase, we’d love your help.

En un mot, merci de nous aider à chasser les bugs. Et les bugs, il y en a dès notre première commande. Une commande toute simple, un Canada Dry commandé, une soupe en sachet délivrée par la machine…

Cet incident n’est pas isolé. Quant à Amazon Go dont on a tant parlé en France, sa modeste taille pour un projet technologique d’une telle envergure est surprenante. Là aussi, un monsieur à l’accueil qui explique inlassablement comment faire ses courses : télécharger son appli Amazon, passer les portiques…Peu de produits et encore moins de monde.

C’est dans les vieux pots que l’on fait les meilleures soupes…Pas sûr

A Manhattan, l’expérience client ne s’appuie pas sur la technologie mais sur un ressort nostalgique évident. La nostalgie du passé industriel de New York transparaît partout. Deux lieux symbolisent ce retour nostalgique : Chelsea Market et Starbucks Reserve.

Chelsea Market a conservé ce caractère authentique même si cela sent le marketing de reconstitution à plein nez. Les visiteurs s’arrêtent devant l’ancienne usine Oreo car ce lieu était auparavant une des plus grandes fabriques de biscuits au monde.

Starbucks Reserve est impressionnant. Situé en face de Chelsea Market, une immense zone de restauration à la gloire du café diffuse dans tout le quartier une bonne odeur de torréfaction.

Les employés portent des blouses très XIX ème siècle. La boutique a été créée autour du café mais également de l’art et de l’artisanat. Une application dédiée permet de voyager en réalité augmentée, seule concession réelle à la technologie.

L'application Starbucks Reserve

L’application Starbucks Reserve® Roastery New York améliore votre exploration du Starbucks Reserve® Roastery dans le quartier Meatpacking de la ville de New York en mettant en valeur les éléments clés du voyage de la fève à la tasse que vous verrez dans l’espace. Commencez par planter un caféier virtuel, puis plongez plus profondément à certains endroits pour comprendre l’art et la science de cultiver, torréfier et servir notre café. Après votre visite, accédez à des guides pour apprendre comment préparer certains des cafés les plus extraordinaires que Starbucks a à offrir.

Source : Starbucks

En face, se dresse Google comme un défi ou une menace.

L’utilisation des ressorts nostalgiques est une vieille recette du marketing et de l’expérientiel. Le problème est de savoir si ce n’est pas une recette éculée. Correspond-elle réellement à la cible des Starbucks ? A New York, les Starbucks sont légions et s’adressent à tous. Le Starbucks Reserve est majoritairement fréquenté par une population d’adolescents qui vérifient le niveau de Wifi avant de s’asseoir…Très faible intérêt pour l’histoire du café et absence totale d’intérêt pour l’Appli.

Trop de flagships tuent les flagships

New York est LA ville où il faut être présent lorsque l’on est une marque internationale. Les flagships (ces magasins vitrine) nous ont impressionnés : Adidas avec ses écrans psychédéliques, Victoria Secret avec son espace mannequinat, Lego où tout est fait pour comprendre le nouveau positionnement technologique de la marque, M&M’s et sa personnalisation ludique.

Aritzia fait figure d’innovateur en termes de showroom avec ses champignons géants symbolisant, selon ses dirigeants, un monde merveilleux. Aritzia, marque canadienne, à mi-chemin entre le prêt à porter chic et l’entrée de gamme a d’énormes ambitions aux USA. Elle multiplie donc les implantations à New York dont celle de la 5ème Avenue.

Présente au Rockfeller Center, elle a ouvert également une boutique à Hudson Yards. Cette œuvre impressionnante est le nouveau lieu branché où il FAUT être. Les marques doivent s’adapter à la morphologie particulière de Manhattan qui s’est développée du sud au nord.

Elles raisonnent RONI (risk of no investment) plutôt que ROI. A quel prix ! Quelle rentabilité lorsque l’on est obligé de multiplier les points de vente car il faut être dans tous les quartiers tendance pour avoir une chance d’exister.

Une surenchère d’offres et une disparition totale de certains produits

Ainsi, à côté des fermetures et des expérientiels nostalgiques, les ouvertures de nouvelles surfaces de vente et les concurrences d’offres identiques sont légion comme si la crise provoquait une véritable fuite en avant. Trois éléments sont pris en compte par les investisseurs : la mobilité (1), les formats (2) et le développement de certaines zones urbaines (3).

Les surfaces de vente suivent la grande tendance qui est de faire des lieux de passage des centres commerciaux. Le Grand Central Market qui propose des produits frais date de 1998. Il profite d’un véritable renouveau de Grand Central, gare historique sauvée par Jackie Kennedy. Le marché de la gare est en concurrence avec un marché extérieur à quelques pas de là qui rassemble de nombreux adeptes de nourriture saine.

Le filon des produits frais est en pleine expansion face à l’épidémie d’obésité qui frappe l’Amérique d’où la multiplication de points de vente et galeries qui n’ont, parfois, pas réellement compris ce qu’était le frais (fruits vendus sous plastique notamment).

La zone urbaine la plus prisée en termes de nouveaux investissements est Dumbo située à Brooklyn. Elle ambitionne de devenir la plus grande concentration de start-ups du pays. Elle attire de jeunes talents des nouvelles technologies. C’est aussi le lieu d’implantation d’un nouveau format portugais qui s’est exporté à Miami puis à New York.

Le Time Out de Dumbo repose sur la promesse d’attirer les meilleurs chefs pour proposer des expériences culinaires exceptionnelles. Le lieu se veut moderne et très technologique. Installé dans une magnifique bâtisse qui était à la base une fabrique de cigares, Time Out tire son nom d’un magazine de détection de tendances urbaines. Tous les restaurants implantés à Time Out ont une autre implantation plus centrale mais Time Out les a attirés par son côté moderne et culturel. Les grandes tables qui se veulent « communautaires » côtoient les œuvres d’art et les expositions temporaires. L’indispensable Roof Top offre une vue incroyable sur le pont de Brooklyn. Lorsque nous l’avons visité à l’heure du déjeuner, il était vide…

Deux jours plus tard, nous avons cherché une carte mémoire pour notre appareil photo. Impossible ! Nous avons fini par en trouver une avec beaucoup de difficultés. En fait, l’alimentaire et l’habillement sont surreprésentés au détriment de la décoration (inexistante), des produits high-tech (pas très présents pour une aussi grande ville) ou du bricolage.

Instagram est un faiseur de roi

Où vont donc les touristes après quelques expériences shopping décevantes. Ils vont chercher les marques qu’ils connaissent via Instagram et qui n’ont que de très rares surfaces commerciales dans le monde. Bien entendu, New York est un incontournable.

Une des marques fétiches de ce phénomène est Glossier. La marque s’est développée sur le Net grâce à un site e-commerce efficace et un compte Instagram de plus de 2 millions d’abonnés. Glossier se définit comme une marque de soin avant d’être une marque de maquillage.

Glossier Inc. is a people-powered beauty ecosystem ✨ Skin first, makeup second 😀👋

Shop our products here 👇gls.sr/shop-Glossier-here

Glossier est la marque des Millennials et dispose de pop-up stores temporaires. En 2016, Glossier a ouvert son premier magasin permanent à New York.

Succès immédiat et queue de plus d’une vingtaine de minutes pour rentrer. Des hôtesses au physique Girl Next Door (une volonté de la marque qui se veut, par ailleurs, éthique, inclusive, contre les tests sur les animaux).  A l’intérieur, l’expérience est très girly. Couleurs pastel, univers où le blanc domine, produits en test partout…grands miroirs éclairés et vendeuses équipées de tablette pour prendre votre commande, vous conseiller, faire un bilan. Vos produits sont à aller chercher à un petit comptoir.

Rien d’exceptionnel. Pourtant, le magasin est rempli de fans absolues. Et, si justement Glossier avait tout compris. Il n’a pas de multiples boutiques mais une seule. Sa digitalisation n’est pas exceptionnelle mais elle existe.

Instagram est le fer de lance de la marque. Sa présence digitale fait son succès physique. A méditer.